Translate

samedi 1 janvier 2000

1700 Rebondissement du procès Caille

Cependant M. de Caille père avait, le 1er janvier 1700, envoyé à Pierre Mouton, procureur au Parlement de Provence, sa procuration, avec pleins pouvoirs pour poursuivre l'imposteur et réclamer contre lui la peine capitale. A ces pouvoirs, il avait joint toute une procédure judiciaire, faite à Lausanne et à Vevey, touchant la vie, la maladie, et la mort de son fils. Le certificat de mort, légalisé par l'ambassade française en Suisse, n'avait pas été admis comme preuve par le juge de Toulon, la seule preuve reçue en France étant un extrait mortuaire. Or à cette époque, il n'était pas dressé d'acte mortuaire en Suisse. Le Parlement de Provence rendit, le 13 janvier 1700, un Arrêt ordonnant que l'accusé serait ramené à Toulon pour lui être son procès fait et parfait à l'extraordinaire, jusqu'à sentence définitive, sans préjudice du droit des parties et de leurs appellations. Le Soldat était déjà aux prisons d'Aix, déjà même il avait, à l'entendre, failli succomber sous une habile manœuvre de traîtres aux gages de son adversaire. Trois des hommes qui l'accompagnaient, ses conseils et ses guides jusqu'alors, Sylvi, Cléron et Carbonel, au lieu de le conduire par la grand'route, l'avaient, raconta-t-il, engagé dans des chemins détournés, lui avaient mis quarante louis dans la main et lui posant le pistolet sous la gorge, l'avaient voulu obliger à s'enfuir. Il produirait un témoin de ce guet-apens, le concierge des prisons de Toulon chargé de le conduire à Aix.

L'Arrêt qui rappelait le Soldat à Toulon était pour le déconcerter, mais il ne perdit rien de son assurance et joua un nouveau personnage. Il se refusa à répondre. Le Lieutenant Criminel de Toulon dut instruire son procès comme celui d'un muet. Le Procureur du Roi conclut à ce que l'accusé fût déclaré convaincu du crime de supposition de nom et de personne et, pour réparation, condamné à la peine capitale.

Le Soldat ne s'en montra pas ému le moins du monde et il est à supposer qu'il se savait quelque part des protecteurs dont il attendait quelque mouvement favorable à son procès. Le 8 mars les opinions recueillies, dont deux seulement étaient pour la condamnation du Soldat aux galères, le Lieutenant Criminel, conformément à l'avis de la majorité des voix, rendit une sentence interlocutoire qui ordonnait qu'avant faire droit, les parties feraient juger les appellations respectivement interjectées.

C'était là sans doute ce que l'accusé voyait venir, et là était la cause de son obstiné mutisme. Ce parent, qui, on se le rappelle, avait autrefois inventé sans succès l'histoire d'un fidéicommis, de Muges était à Toulon depuis le commencement du procès, mais il s'était tenu coi, feignant de ne vouloir se mêler de rien. Invoqué par le Soldat, il se trouva prêt sur l'heure à répondre. Il ne dit pas qu'il reconnaissait le Soldat pour son parent de Caille, car il n'avait jamais vu ce parent, mais il affirma que M. Imbert, vicaire actuel de la Bastide, et ancien prieur de Caille, lui avait donné sur Isaac de Caille des renseignements si complets qu'il n'était pas possible de ne pas reconnaître Isaac dans le Soldat de marine. Ce témoignage ne fut pas pour peu de chose dans les motifs de la sentence interlocutoire. M. Rolland interjeta appel de cette sentence, qui remettait tout en question. Mais l'accusé de son côté, comme appelant de toute la procédure criminelle, demanda au Parlement de Provence à faire preuve de son état.

Arrêt intervint le 18 juin 1700, par lequel l'accusé était admis à prouver qu'il est le fils du sieur de Caille, sauf à ses parties de faire preuve du contraire, si bon leur semble, sans préjudice des preuves du procès. Cet arrêt étant contradictoire, M.Rolland ne put en appeler.

Le Soldat se retrouvait de nouveau sur le terrain de l' enquête, c'est-à-dire qu'il lui était permis enfin d'exploiter la crédulité et la passion populaires. Il fut conduit à Manosque, à Caille, à Rougon. Son voyage fut un long triomphe. Il fit dans chacun de ces endroits son entrée au milieu d'une haie de curieux fanatisés, décidés à le reconnaître pour le jeune Caille d'autrefois. Il reconnut lui-même plusieurs des assistants, les nomma par leurs noms, leur rappela des particularités de son enfance. Il regarda les maisons avec intérêt, demandant la raison de quelques changements faits depuis son absence. Évidemment, l'imposteur avait préparé son terrain. On se rappelle l'aveu fait par lui d'un voyage secret à Manosque, sa connaissance parfaite de l'extérieur des monuments, sa complète ignorance des dispositions intérieures.