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dimanche 23 novembre 2008

Saint-Martin de la Brasque au XIIIème siècle



Nous sommes en 1253. Le village fortifié de Saint-Martin de la Brasque (castrum Sancti Martini) est situé sur la colline du Castelas. Comme celle-ci est un peu détachée des premiers contreforts du Luberon, l’on y domine toute la vallée d’Aigues. Le regard y porte bien au-delà de la Sainte Victoire, jusqu’au Pilon du Roy dans la chaine de l’Etoile, mais aussi vers Grambois et Cadenet.




On comprend donc facilement pourquoi cette colline était un lieu défensif idéal.



Le Castelas vu du chemin de Chalet Le Castelas vu du Nord


Administrativement, Saint-Martin de la Brasque est rattaché à la viguerie d’Apt; religieusement, au diocèse d’Aix, chapitre de Saint-Sauveur, et féodalement il appartient au Comté de Forcalquier qui s’étire sur la rive droite de la Durance, entre le Marquisat de Provence, et le Comté de Provence






Notre dame est Béatrice, Comtesse de Provence et Comtesse de Forcalquier, Reine de Naples, de Sicile et de Jérusalem, épouse depuis 1246 du frère de Saint-Louis, et sœur de sa femme,Marguerite, Reine de France. Du beau monde !
Béatrice a vingt-deux ans et elle a décidé de mettre de l’ordre dans les péages de son comté de Forcalquier. Ceux-ci sont fort nombreux : le Saint-Martinois qui désire passer de l’autre côté du Luberon par Vitrolles paie des droits aux lieux de Saint-Martin, de Peypin, de Vitrolles, de Cereste.S’il va vers Apt, il paie à Saint-Martin de Castillon, à Baumette. S’il se dirige vers Forcalquier, il doit payer à Carluc, à Reillane.









Celui qui va à Manosque doit payer à Grambois, à la Bastide des Jourdans, à Sainte-Marguerite, à Pierrevert. En vallée d’Aigues, on doit payer à La Tour d’Aigues, à Pertuis, à Lourmarin.. Si on remonte la Durance on paye à Sainte Tulle, à Volx, à La Brillane, à Peyruis. Le territoire est cadenassé. Cette carte des lieux est postérieure, et Saint Martin n'y apparait pas, mais elle permet de suivre les itinéraires de l'époque.


Non seulement les hommes doivent le péage, mais le passage des moutons provoque des nuages de poussière ce qui justifie le «pulvérage» , une autre taxe due aux seigneurs locaux. Celui-ci se comptait alors en deniers par trentenier de moutons (douze deniers valent un sol, vingt sols font une livre et le passage d’un trentenier de moutons coute quelques deniers).

Mais plus que nombreux, ces péages sont pour la plupart illégitimes : apparus depuis le décès du « comte Guillaume de bonne mémoire », ou alors indument augmentés, sans la caution d’un roi, d’un empereur ou d’un pape. Béatrice fait les choses méthodiquement. : elle fait recenser par des experts les péages «just e antic» et ceux qui sont apparus « sens justa e razonabla cauza et contra razon e drech e costuma ». Un certain nombre de seigneurs qui prélèvent ces péages apparemment injustes sont mis sur la sellette. Parmi ceux-ci, Mabile comtesse de Forcalquier qui prélève le péage à Saint-Martin de la Brasque. Une autre comtesse de Forcalquier me direz-vous ! eh bien oui : Mabile est la quatrième femme de Guillaume IV de Sabran, autoproclamé «par la volonté de Dieu, Comte de Forcalquier» tandis que Béatrice a reçu le comté de Forcalquier de son père le comte Raymond Bérenger. En fait les deux lignées de comtes de Forcalquier avaient fini par coexister. Mais il est certain que Saint-Martin de la Brasque avait été donné à la mère de Guillaume IV, Alix. Alix l’avait reçu de son frère, le légitime comte de Forcalquier, Bertrand II, en 1168, juste avant le départ de celui-ci pour la croisade.
Revenons à nos péages. Donc Béatrice, qui veut procéder « segon Dieu et drechura », mande un de ses docteurs en droit et un de ses bayles (administrateurs) pour déterminer si ces péages nouveaux sont justifiés par des documents ou des garanties dignes de foi. Les dits seigneurs ont jusqu’à la Noël (nous sommes aux ides d’Octobre) pour produire leurs preuves. A la suite de quoi, elle prend conseil d’une assemblée d’hommes religieux, de docteurs en droit, de juges, de prud’hommes, d’experts divers avant de trancher puis déclare valides les péages de Pertuis, La Brillane, Peyruis, Peypin et Cereste à leurs niveaux antiques. Elle reconnait des privilèges aux hommes de Forcalquier, de Montjustin, de Belmont, et de Manosque. Elle supprime tous les autres péages et pulvérages, en particulier ceux de Chateauneuf Val Saint-Donat, de Volx, de Reillane, de Saint-Martin de Castillon, de Carluc, de Pierrevert, de Sainte-Tulle, de Sainte-Marguerite, de la Tour, de la Bastide des Jourdans, de Vitrolles, de Saint-Martin de la Brasque, de Lourmarin, de Baumette, de Saint-Vincent ( sur le Jabron ) qui sont « non degutz et non drechuriers » sous peine de punition. Enfin elle réglemente sévèrement les conditions de pulvérages.

L’acte rédigé en latin est signé par une multitude de gens de toutes qualifications ( seigneurs , juges, bayles, consuls, cavaliers, drapiers , notaires ..). En 1293 l’acte sera traduit en roman, car tout le monde ne lit pas le latin, par Maitre Audebert Gauzis, qui prie de l’excuser par avance si on découvre que « non sia ben romansada josta lo latin ». Cette traduction a été consignée dans le « Livre des Privilèges de la Ville de Manosque », manuscrit datant de 1315. Elle a ensuite été retranscrite dans «Notes pour servir à l’histoire de la Provence» , par V. Lieutaud bibliothécaire de la ville de Marseille où je l’y ai retrouvée


Pour conclure : une pensée émue pour la comtesse Béatrice qui a su réduire les impôts des Saint-Martinois !