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mercredi 21 octobre 2009

Guillaume Apollinaire

j'ai cueilli ce brin de bruyère
l'automne est morte souviens-t'en
nous ne nous verrons plus sur terre
odeur du temps brin de bruyère
et souviens-toi que je t'attends.

Alcools (1913), l'Adieu

1945 Hommage à Albert GARCIN

Vous pouvez lire ici, sur le blog des Garcins de Peypin d'Aigues le discours du Maire de Peypin d'Aigues

mardi 20 octobre 2009

1706 Mais qui est donc Louis Rey de Saint-Martin de la Brasque ?

Il ne vous aura pas échappé que l'arrêt du Parlement de Provence faisait état d'un Saint-Martinois, Louis Rey ou Roi c'est selon.

Entendons ce qu'en dit l'avocat du Soldat de marine :

Louis Rey avoit demeuré chez le Sieur de Caille père, en qualité de domestique pendant plus de douze ans; il l'avoit conduit en Suisse & y étoit resté deux ans avec lui. Personne ne pouvoir donc donner plus de lumières sur l'état de l'accusé que ce domestique; aussi ne manqua t-il pas de le reconnoître d'abord & de dire qu'il était aussi bien de Caille que lui étoit Louis Rey. Les 67 & 167è témoins de l'enquête de l'accusé lui ont entendu tenir ce langage. Cependant, après une déclaration si formelle, il change subitement & quand des gens d'honneur lui en font des reproches, il dit pour toute excuse que s'il reconnoissoit l'accusé, il ne se ferait qu'un ami, que s'il dit qu'il ne le connossoit pas, s'en fera cinquante.
Les 15 & 134è témoins déposent précisément qu'il s'en est expliqué avec eux de cette manière.

La subornation est donc certaine, mais le prix de cette subornation n'est pas moins prouvé. Il est constant qu'en 1699, époque du commencement de cette affaire, M. Rolland donna un coin de terre à Louis Rey. M. Rolland, convenant du fait, ajoute qu'il le lui a retiré depuis. Mais il ne fait pas attention que cette précaution, imaginée après coup pour détruire les preuves de la subornation, la met encore dans un plus grand jour. Pourquoi & comment, en effet, l'auroit-il privé de ce qu'il lui avoit donné? Cette restitution, à laquelle rien ne pouvoit contraindre le donataire, ne manifeste-t-elle pas la connivence? Les deux coupables ont consenti à la résiliation d'un acte qui fournissoit une preuve authentique de leur complot criminel. Mais si M Rolland a ôté en apparence ce coin de terre à Rey, il a bien sçu l'en dédommager d'ailleurs. Enfin, il est prouvé qu'outre cette gratification, Louis Rey a encore reçu deux charges de bled, son propre fils en est convenu.

On ajoutera ici la déposition d'une femme, chez qui le fils du sieur de Caille avoit été mis par sa grand-mère, après après avoir été sevré; c'est le 386e témoin.


"LOUISE MONDETE &c a dit avoir connu depuis sa première jeunesse, la famille du sieur de Caille, & fréquenté ordinairement dans sa maison, se souvenant que le sieur de Caille avoit deux filles & un garçon, lequel n'avoit pas dans son enfance beaucoup de santé & auquel on fut obligé de changer cinq à six fois de nourrice, & après avoir été sevré, il fut remis à sa grand-mère, laquelle n'en prenant pas tout le soin nécessaire à un enfant de cet âge, le remettoit par diverses fois à la déposante pour en avoir soin; lequel étant devenu un peu plus grand, fut atteint des écrouelles, qui lui firent quelques ouvertures au bas d'une jambe & se souvient, elle qui dépose, que cet enfant étoit né avec les oreilles collées & prises contre la tête en façon qu'un chirurgien appellé Besson lui fit quelques opérations pour les séparer de la tête, comme sont les oreilles des autres & pansa les écrouelles de la jambe dudit enfant & lui fit quelques incisions. Et n'a pas oublié, elle qui dépose, que le fils du sieur de Caille reçut un coup de pierre au front, sur un de ses sourcils, qui lui fut donné par le sieur Clément & dont il lui resta une petite cicatrice au front & que pendant tout ce tems-là, cet enfant venoit souvent dans sa maison & appelloit la déposante sa mère. Et quand il fut un peu plus grand, on lui donna un précepteur & on l'envoyoit au college & quand le sieur de Caille quitta la province, cet enfant pouvoir avoir environ douze ans, auquel tems de son départ Louis Rey en eut soin & conduisit quantité de hardes qu'on fit charrier dans cette occasion ...

Voyons maintenant le point de vue de l'avocat de la partie adverse :

L'imputation faite au premier n'a d'autre fondement que les dépositions de deux témoins, entendus à la requête du Soldat, le 158e & le 388è qui sont deux gueuses mendiantes.
- La première dépose avoir oui dire à Isabeau Darbes que Louis Rey avait reçu deux charges de bled pour dénier M de Caille.
- La seconde qu'elle a entendu dire à l'enfant de Louis Rey qu'on avait donné à son père deux charges de bled pour l'obliger à nier que le prisonnier fut le véritable fils du sieur de Caille; que son père avait dit qu'il estimoit mieux deux amis qu'un. Quant à l'histoire du coin de terre donné à ce Louis Rey par M. Rolland, il n'y en a aucune trace dans la procédure & il paroît que ce n'est autre chose qu'un trait de l'imagination de l'avocat du soldat.

Au surplus, il est bien certain que ces deux dépositions sont fort éloignées d'établir la preuve d'une subornation
- Isabeau Darbes à qui le premier témoin prétend avoir oui dire le fait n'a point déposé
- Aucun des deux témoins ne nomme M. Rolland
- Benoît Laurent le témoin de l'enquête du soldat a déposé qu'ayant interrogé Louis Rey sur le bruit qu'on faisoit courir qu'il avait reçu deux charges de bled, ledit Rey a toujours nié ce fait & qu'il lui dit que quand il fut à Toulon, il se seroit mis en prison avec le prisonnier s'il l'eut pu reconnaître pour le fils du sieur de Caille.
Cette déclaration déposée par un témoin du soldat lui-même & qui la tient de la propre bouche de celui qui l'a faite, ne détruit-elle pas les ouï-dires des deux autres témoins qui ne parlent que d'après des tierces personnes?




A vous de choisir votre version !

lundi 19 octobre 2009

1706 La sentence du Parlement de Provence

Voici donc l'Arrêt que rendit la Cour d'Aix, six ans après sa première audience, et après cinquante audiences disséminées dans ces six années.

"...Tout considéré, dit a été que la Cour, faisant droit sur toutes les fins et conclusions des Parties, a mis et met l'appellation d'André d'Entrevergues, de Rougon, de Caille, ci-devant Isaac, de la procédure contre lui faite à la Requête d'Anne le Gouche, Tardivi et consorts et ce dont est appel au néant;
"Et par nouveau Jugement, a déclaré et déclare ladite procédure et tout ce qui s'en est suivi, nuls et comme tels, les a cassés et casse, comme aussi a mis et met les autres appellations tant dudit Entrevergues que de ladite le Gouche, Tardivi et consorts, des Sentences, Ordonnances et Décrets et ce dont est appel, au néant;
"Et par nouveau Jugement, sans s'arrêter aux Lettres Royaux, ni aux demandes sur Requêtes de ladite le Gouche, Tardivi et Consorts, des 13, 15 Septembre, 18 Octobre, 15,20 Novembre 1699, 20 Mai, 25 Juin, et 17 Décembre 1700, dont les a démis et déboutés, a déclaré et déclare ledit Entrevergues être le véritable Isaac le Brun de Castellane, fils de Scipion le Brun de Castellane, sieur de Caille et de Rougon, et de Judith le Gouche, ses père et mère;
"Et au moyen de ce, son écrou sera barré par le Greffier criminel de la Cour ou son Commis;
"Et faisant droit à sa Requête d'opposition du 16 Décembre 1699, sans s'arrêter à l'Arrêt du 30 Juin 1690, lui a adjugé et adjuge tous les biens et héritages de ses père et mère, avec restitution de fruits depuis le 16 Décembre 1702, dommages et intérêts, le tout à connaissance d'Experts, accordés ou pris d'office par le Commissaire Rapporteur du présent Arrêt;
"Et à ces fins, enjoint aux détenteurs desdits biens de les lui vuider, leur faisant inhibitions et défenses de l'y troubler, à peine d'en être informé;
"Et en ce qui est des Requêtes dudit Isaac le Brun de Castellane des 5 Mai 1700, et 17 Février 1701, 12 Juillet et 7 Mai 1704, 4 Janvier 1706, tendantes à faire informer contre le sieur Rolland, Avocat Général au Parlement de Grenoble et Consorts, en subornation de témoins, calomnie, corruption de domestiques, faussetés, empoisonnement, et en dommages et intérêts, ordonne qu'il en poursuivra les fins aux Chambres assemblées ainsi qu'il appartiendra;
"Et sur les autres fins et conclusions des Parties, les a réciproquement mises hors de Cour et de procès;
"Condamne ladite le Gouche, Tardivi, et Consorts à tous les dépens des Instances et Arrêts.
"Ordonne en outre que Joseph Fauque du Colombier, Prêtre et Prieur de Sainte-Anne et Curé de Roussillon, Joseph Perier Notaire de Rougon, Antoine Audibert, meunier dudit lieu, Louis Roi de S Martin de la Brasque, cabaretier et résident à Manosque, seront pris et saisis au corps, menés et conduits à bonne et sûre garde aux Prisons Royaux de ce Palais, pour y être détenus, jusqu'à ce qu'autrement soit dit et ordonné et ne pouvant être appréhendés seront assignés et criés à la forme de l'Ordonnance, audit cas leurs biens immeubles seront saisis et annotés sous la main du Roy, par description et inventaire, et les autres, régis par Séquestres et Commissaires à la manière accoutumée;
"Claude Funel et la femme d'Antoine Audibert seront adjournés en personnes et Croiset, ci-devant Commissaire Général des Galères et son Commis, qui a écrit l'extrait de deux enrollemens de Pierre Mège du 23 Avril 1683 et 5 Mars 1693, couchés dans une même feuille, signés Croiset, expédiés le 27 Novembre 1699 , Lardeiret, Notaire de Manosque, et Jacques Goulet, Notaire de Martigues, seront assignés pour répondre pardevant le Commissaire à la diligence du Procureur Général du Roi , demeurant la Partie civile en qualité, si bon lui semble, pour ce fait communiqué audit Procureur Général être ordonné ce qu'il appartiendra;
"Et pour cet effet, les sacs et pièces des Parties resteront au Greffe criminel de la Cour jusqu'à ce qu'autrement soit dit et ordonné;

"Délibéré à Aix, le 14 Juillet 1706, Signé de Coriolis, Président et de Boyer d'Aiguille, Rapporteur."


Un bien étrange arrêt !

1700 Isaac de Caille en Suisse ou les dangers des mathématiques

En même temps, M. Rolland poursuivait en Suisse cette enquête qu'on lui avait refusée. Déjà, pendant la procédure de Toulon, voyant que les officiers à ce siège ne tenaient aucun compte des certificats venus de Lausanne et de Vevay, M. Rolland avait fait écrire à l'ambassadeur français en Suisse, le priant d'informer sur la mort d'Isaac. Sur cette initiative de M. le marquis de Puysieux, ambassadeur pour le Roi, avait été faite à Vevay, on se le rappelle, la procédure en usage pour établir la mort d'Isaac de Caille. Le ministre qui avait assisté le jeune homme à ses derniers moments, le propriétaire de la maison mortuaire, le médecin, l'apothicaire, le chirurgien, le menuisier qui avait fabriqué le cercueil, la garde qui avait enseveli le corps, les témoins qui l'avaient conduit à sa dernière demeure avaient été successivement entendus. Pareille procédure fut faite à Lausanne, où vingt-neuf témoins rendirent compte des études du jeune Isaac, de sa maladie de langueur attribuée à une trop grande application aux mathématiques. Le registre du professeur de mathématiques de Lausanne, dont extrait fut dressé, faisait partie de ces témoignages ainsi qu'un extrait d'acte public, contenant la signature d'Isaac et deux lettres écrites de sa main. Autre procédure à Genève, où furent entendus les professeurs de philosophie et de rhétorique de cette ville, attestant que, en 1681, 1682 et 1683, Isaac de Caille avait suivi leurs cours; que, en 1683, il avait seize ans. Extrait fut fait du Registre de l'Ecole de Genève, portant qu'Isaac de Caille s'était inscrit lui-même pour les cours de Théologie et de Belles Lettres. Tous ces témoignages, tous ces certificats, tous ces extraits, furent dûment légalisés par les Bourgmestres, les Syndics, les Résidents des différentes villes et enfin par les Souverains de Berne et par le marquis de Puysieux, lui-même. Trois tantes d' Isaac de Caille se joignirent au père pour protester dans cette enquête contre l'imposture du Soldat de marine.

jeudi 15 octobre 2009

1702 Les 182 témoins de M. Rolland

M. Rolland, de son côté, ne demeurait pas inactif. Il faisait rechercher à Aix, à Marseille, à Manosque, à Apt, surtout à Joucas, lieu de naissance de Pierre Mège, tous ceux qui pouvaient avoir connu Mège et Isaac de Caille. Son enquête recueillit cent-quatre-vingt-deux témoignages, en tout cent-quatre-vingt-neuf avec les sept de l'information préparatoire de Toulon.

  • Sur ce nombre, trente-huit affirmaient que le Soldat de marine n'était pas le fils de Caille, affirmation identique à celle des sept témoins de Toulon.
  • Treize témoins, qui avaient participé à des actes sous seing-privé passés par Pierre Mège, reconnaissaient ce Mège dans le Soldat.
  • Treize autres témoins, proches parents de Pierre Mège, n'hésitaient pas à dire en voyant le Soldat:-"C'est là l'homme que nous avons toujours connu comme Pierre Mège, fils de François Mège, cabaretier, faux-monnoyeur, voleur et forçat de galères et de Marie Gardiole."
  • Un grand nombre de voisins, de connaissances, se trouvaient pour raconter toute l'histoire du Soldat, ses métiers divers, ses aventures, ses traits de friponnerie, non pas seulement depuis 1690, époque prétendue de l'évasion du fils de Caille, mais depuis plus de quinze ans.
  • L'un dit : "Il m'a servi de valet; il puisait de l'eau pour mon jardin; je l'employais à peler des oranges. C'est moi qui l'ai porté à faire abjuration aux Jésuites de Marseille". Et, en effet, la signature de ce dernier se trouvait sur l'acte d'abjuration. Et ceci mit sur la trace de deux abjurations antérieures à celle de 1699, aux dates de 1679 et 1681 Quand les temps étaient trop durs, Mège se convertissait pour vivre.
  • Un autre avait engagé Pierre à abjurer, mais cette fois à Apt; il lui avait servi de parrain.
  • Celui-ci déposa que le prétendu Caille, qu'on lui montrait, n'était autre que Pierre Mège, à qui il avait, en 1691, donné deux pistoles pour s'enrôler à sa place.
  • Celui-là dit:" Voilà bien Pierre Mège, qui m'a volé tel jour!"
  • Cet autre :"Cet homme est Pierre Mège, qui vendait des chasubles à Marseille et qui depuis, s'est fait recors pour la capitation et cardeur de filoselle. Nous avons travaillé ensemble ".
  • Plusieurs le signalèrent comme étant ce mauvais sujet de Pierre Mège qui faisait fabriquer par des galériens de fausses commissions d'enrôlement, destinées à escroquer les pauvres qu'il enrôlait.
  • Un le reconnut pour ce Mège qui, à Roussillon, avait poursuivi le pistolet en main dans la sacristie, un prêtre revêtu de ses habits sacerdotaux.
  • C'est lui qui feignait de tomber du mal caduc pour ne pas faire campagne
  • C'est lui à qui j'ai fait l'aumône à son retour du Ponant.
  • C'est lui à qui j'ai vu vendre des drogues et qui se promenait sur le port, un havresac au dos, une croix rouge sur la poitrine, qui s'arrêtait devant notre porte pour nous dire combien il avait gagné en chantant une chanson provençale .
On retrouvait des officiers, des soldats, des employés d'administration de la galère la Fidèle sur laquelle Pierre Mège avait servi en 1676 et en 1695 et ces officiers, ces soldats, et ces employés affirmaient que l'homme de 1676 et celui de 1693 étaient un seul et même personnage.

On retrouvait le notaire Goulet, de Martigues, qui reconnaissait dans le Soldat ce Pierre Mège dont il avait dressé en 1685 le contrat de mariage avec Honorade Venelle. Au total, le prétendu Caille était reconnu pour Mège par cent-trente témoins.

À ces témoignages oraux, dont la qualité l'emportait singulièrement sur celle des témoignages du Soldat, puisque beaucoup des témoins étaient des magistrats, des officiers, des boutiquiers riches et instruits, s'ajoutaient des preuves littérales d'une grande importance. Par exemple, les signalements de Pierre Mège sur ses commissions d'enrôlement de 1676, 1683 et 1687 antérieures par conséquent à la fuite prétendue du fils Caille, étaient absolument identiques aux signalements de quatre autres commissions d'enrôlement, aux dates de 1691, 1694, 1695, et 1697. Et aussi, le Journal domestique de l'aïeul maternel du fils Caille, M. Bourdin, fixant au 19 novembre 1661 la naissance d'Isaac de Caille et dénommant les cinq nourrices qu'avait eues l'enfant : aucun des noms de ces nourrices ne concordait avec les noms des quatre prétendues nourrices, témoins dans l'enquête du Soldat et dont l'une, la femme Martine Esprite, n'aurait eu que sept ans à l époque de la naissance du fils Caille.

1702 Les 394 témoins du Soldat de Marine

Celle du Soldat recueillit à Manosque, à Caille, à Rougon, à Marseille, à Toulon et à Aix 394 témoignages.
  • De ces témoins, 110 affirmèrent que le Soldat de marine était bien le fils de Caille, ou "au moins, nous le croyons", dirent la plupart de ces 110 témoins;
  • 5 témoins déclarèrent que le Soldat à eux représenté, n'était pas Pierre Mège, mais ne reconnurent pas en lui le fils de Caille;
  • 4 dirent avoir connu un Mège qui n'était pas cet homme-là;
  • 2 assurèrent que ce n'était pas là le fils de Caille.
Le plus important, parmi les cent-dix témoins qui reconnaissaient de Caille, était M. Amédée Imbert, ce vicaire annoncé par de Muges. Celui-là dit qu'il n'y avait pas à s'y tromper; que l'air, les traits, la démarche, tout était conforme à ce qu'il se rappelait du fils de Caille. Le Soldat, ajouta-t-il, présentait au derrière de la tête un os en saillie et c'était là un signe caractéristique qui existait chez M. de Caille le père et qu'on pouvait constater chez M. de Muges.

Quatre autres témoins importants parmi les cent dix étaient quatre femmes qui disaient avoir nourri le fils de Caille.

Vingt autres, parmi les cent-dix, reconnaissaient dans le Soldat le fils de Caille parce que, disaient-ils, ce Soldat ressemblait d'une façon surprenante à la dame Rolland. Au reste, à l'exception du vicaire Imbert et de deux ou trois personnes de condition, les cent-dix témoins affirmatifs étaient des ouvriers et des paysans et c'était un ami du vicaire Imbert qui avait lancé et conduit le monitoire à Manosque.



Sous cette direction intelligente, les révélations du monitoire avaient eu tous les caractères de l'inspiration et de l'enthousiasme. Dans sa marche triomphale par les rues de Manosque, le Soldat avait encore accru ces dispositions populaires par sa vive piété. En passant devant les fenêtres de la maison de Manosque, donnée à la Charité de cette ville par la dame Rolland, le Soldat s écria en apercevant les pauvres et les Sœurs qui contemplaient le cortège:-" Vous êtes dedans et moi, qui suis le fils de la maison, je suis dehors, mais je ne vous en chasserai pas!". Toute la Communauté éclata en sanglots d'admiration et de reconnaissance. Vingt de ces pauvres firent partie des cent-dix témoins affirmatifs de l'enquête du Soldat.

1700 Escarmouches

Assignation fut donnée à de Caille père, en la personne du Procureur Général du Roi, et le Soldat de marine joignit à cette assignation une respectueuse prière à M. de Caille d'avoir à le venir reconnaître. Peut-être, était-il dit dans cette prière, la vue d'un fils détruirait-elle l'effet malheureux des dissentiments sur la religion et le père, touché dans ses entrailles, se sentirait-il force d'écouter la voix de la nature.
Assignation et prière n'eussent eu valeur que si un bon sauf-conduit les eût accompagnées. M. de Caille connaissait trop bien la rigueur des lois pour se hasarder en Provence.

La dame Rolland répondit à ces manœuvres hypocrites par une requête tendante à ce, qu'au cas que les preuves du séjour du fils du sieur Caille en Suisse jusqu'à sa mort, et les preuves de son décès, ne fussent pas jugées suffisantes, attendu qu'elles n'avaient pas été ordonnées par un juge de France, il plut au Parlement de commettre un ou plusieurs magistrats in partibus pour faire la preuve de ces faits, qui ne pouvaient être établis que dans le lieu du séjour et de la mort du sieur de Caille fils. Le Soldat s'opposa vivement à la nomination de commissions rogatoires. Nonobstant cette opposition, le Procureur Général donna des conclusions conformes à la requête de la dame Rolland. Mais le Rapporteur mit la requête en poche et ne la rapporta point, alléguant l'urgence du jugement d'un procès qui ne fut en réalité jugé que quinze mois après. Pour détourner l'attention de ce déni de justice qu'on comprendra bientôt, le Soldat accusa M. Rolland de crimes capitaux commis en vue d'égarer la Justice. A l'entendre, le magistrat avait fabriqué lui-même les attestations des témoins qui signalaient le Soldat comme Pierre Mège, et il avait tenté de détruire au moyen d'une eau corrosive certaines pièces déposées au Greffe, qui lui avaient paru trop favorables aux prétentions du fils de Caille. Bien plus, il avait tenté d' empoisonner dans sa prison son adversaire, ou plutôt sa victime.
Pendant ces escarmouches chacune des deux parties poursuivait son enquête et ces enquêtes contradictoires durèrent pendant près de trois ans de 1699 à 1702.

lundi 5 octobre 2009

Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,

Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,
Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres,
Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres,
Certes, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,
Tandis que, dévorés de noires songeries,
Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,
Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,
Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver
Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille
Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.

1700 Plus fort qu'Alexandre Dumas père !

Mais il est temps de dire, ce que le procès ne nous apprendrait qu'un peu tard, pour la clarté de ce récit : comment était venue à Pierre Mège dit Sans-Regret l'idée étrange de jouer le personnage du fils de Caille. Ce récit nous fera comprendre sur quels auxiliaires l'imposteur pouvait compter en commençant son attaque. Un jour assis dans un coin obscur d'un cabaret de Toulon, Pierre Mège buvait chopine quand entrèrent trois hommes dont le patois trahit bientôt à ses oreilles exercées des natifs de la haute Provence. Leur conversation lui montra bientôt en effet que ces buveurs étaient de Forcalquier et de Manosque. L un d'eux, récemment arrivé du pays pour vendre à Toulon des figurines d'albâtre, donnait aux deux autres des nouvelles de leurs parents et connaissances. Les de Caille, avant la révocation de l'édit, étaient seigneurs de ce pays, les buveurs ne tarirent pas sur les mésaventures de cette famille naguère si puissante et si riche. Ils parlèrent du vieux château des Caille, autrefois manoir orgueilleux, aujourd'hui triste débris, emblème de leur fortune écroulée;

ils parlèrent de la mort récente du dernier fils Isaac; de la donation faite à la Charité de Manosque par la dame Rolland; de la fortune considérable qui sans doute ne tarderait pas à revenir aux le Gouche et aux Rolland par la mort des derniers exilés de Genève. Les buveurs sur leur départ, Pierre Mège s'approcha d'eux et leur dit :_"Vous parliez tout à l'heure d'Isaac de Caille qu'on dit mort en Suisse, l'un de vous l'aurait-il connu, le reconnaîtrait-il? _Point, répondit un Manoscain mais nous avons à Toulon un pays, le menuisier la Violette, qui a fort connu toute la famille et qui reconnaîtrait bien M. de Caille le fils, si de fortune il n'était point mort. _Eh bien messieurs, si vous voyez la Violette envoyez-le donc chez moi. Je suis Sans-Regret, soldat de marine bien connu sur le port. Je pourrai dire à votre pays telle chose qui lui causera plaisir et profit".

A quelques jours de là, le menuisier la Violette alla trouver Sans-Regret qui, s'il fallait en croire ce que dit plus tard l'imposteur, l'accueillit par ces mots :_" Comment vous va, la Violette, ne me reconnaissez-vous point? A quoi la Violette aurait répondu _"Vous êtes le fils de mon ancien maître."

Ce qui dut se passer entre ces deux hommes, nous ne saurions le raconter avec précision aucun des deux n'ayant eu intérêt à l'avouer plus tard, mais ce qui est certain, c'est que quelque temps après, le soldat de marine Pierre Mège dit Sans-Regret, le menuisier la Violette et de Muges, le parent au fidéicommis, faisaient cause commune ; c'est que la Violette appuyait le Soldat de marine dans sa première démarche auprès de M. de Vauvray; c'est enfin que le témoignage de de Muges était un des premiers invoqués, avec celui de la Violette, pour établir l'identité du Soldat de marine avec Isaac de Caille.

dimanche 4 octobre 2009

1699 Sans-Regret

Il se trouvait en effet des gens qui reconnaissaient, à n'en pas douter, dans le faux Caille un Pierre Mège, de Marseille, enrôlé à Toulon dans la troupe de marine. Le Soldat, quand ce nom lui fut opposé dans ses interrogatoires, ne fut pas démonté du coup. Il avoua de la meilleure grâce du monde avoir porté ce nom de Mège, mais ce nom n'était pas le sien et voici ce qu'il raconta. Après l'aventure de Nice, il lui fallait vivre et attendre l'occasion favorable pour revendiquer son vrai nom de Caille. La milice ayant été congédiée, il se rendit à Marseille, logeant le diable en sa bourse. Il n'y fut pas qu'il rencontra une certaine Honorade Venelle, femme d'un Pierre Mège qui vivait avec sa mère et ses deux belles sœurs. Le mari était absent, la femme de mœurs faciles, toutes ces femmes d'ailleurs étaient nées dans la religion réformée et n'avaient abjuré que contraintes et forcées. Ce fut un lien entre elles et le Soldat. Il s'ouvrit à elles de son nom véritable, de ses projets, elles lui persuadèrent de cacher quelque temps encore son nom et sa religion et pour faciliter leur commerce, Honorade consentit à faire passer le Soldat pour son mari absent, pour Pierre Mège. Sous ce nom nouveau, il s'enrôla en 1695 sur la galère la Fidèle, il y servit trois ans, puis fut réformé. Revenu à Marseille il chercha à vivre en vendant d'un certain baume que, disait-il, sa grand mère, la dame de Caille, lui avait appris à composer. Cette industrie remplissant mal la marmite, force lui fut de s'enrôler encore. Il le fit en 1697 à Toulon, sous le nom de Pierre Mège, auquel il ajouta un surnom à la grenadière, celui de Sans-Regret.

Vingt témoins furent entendus dans l'information préparatoire provoquée par le sieur Rolland. Plusieurs déclarèrent que ce n'était point là le fils de Caille avec qui ils avaient fait leurs humanités. Plusieurs autres reconnurent en lui Pierre Mège, soldat de marine depuis 1676. Le Soldat garda en face de ces démentis péremptoires l'attitude la plus calme. Ferme dans la défense, il ne craignit pas d'attaquer toutes les fois que la procédure lui en fournit l'occasion. Il demanda instamment à être confronté à M. Rolland en présence des Juges. Il lui soutint d'un œil intrépide et d'une voix assurée qu'il l'avait vu à Genève, que depuis son abjuration, lui, Rolland, magistrat et catholique d'apparence, avait secrètement fait la Cène dans le grand temple. Il lui décrivit l'habit qu'il portait, le cheval qu'il montait, tout son équipage. Après ce beau coup d'audace, fait pour éloigner du sieur Rolland les sympathies populaires, le Soldat demanda l'exécution de la sentence du 16 septembre 1699 et insista pour être traduit dans tous les lieux où avait fréquenté le fils Caille. Le Lieutenant Criminel ordonna par sentence du 2 décembre 1699 que la Requête serait jointe à la procédure criminelle. Le Soldat interjeta appel de toute cette procédure, obtint un arrêt de défense et se fit traduire à Aix.

1699 Isaac, seigneur de Caille ou Pierre Mège, fils de galérien ?

Nous avions laissé Isaac de Caille pour mort en Suisse et voici qu'il réapparait à Toulon et abjure la religion de ses pères.


L'abjuration fit du bruit en ce pays de passions religieuses et peu de temps après, la nouvelle en vint à Lausanne. Voilà M. de Caille stupéfait d'apprendre que son fils mort depuis plus de trois ans venait de renier sa foi en Provence. Il s'empressa de mander à M. de Vauvray par l'intermédiaire de la dame Rolland, qu'un intrigant abusait de son nom et il joignit à l'appui de son dire un certificat légalisé prouvant que ce fils était mort en Suisse le 15 février 1696 et un acte de procuration à la date du 6 mai 1699 reçu parle notaire Ribeaupierre contenant sa protestation contre l'imposture. M. de Vauvray, déjà éveillé sur la supercherie, ne se le fit pas répéter. Il donna l'ordre d'arrêter l'imposteur. Mais ce faux de Caille était soldat, il appartenait à la compagnie de Ligondès, placée sous les ordres supérieurs de M. d'Infreville qui commandait les troupes à Toulon. Conflit entre M. d' Infreville et M. de Vauvray. Il fallut en référer à la Cour. M. de Pontchartrain, ministre d'État, parla de cette affaire au Roi, qui, le 11 juin, ordonna de passer outre à l'arrestation, de mettre l'imposteur à l'Arsenal, et de le livrer au Juge ordinaire, pour lui être fait son procès. Ce qui fut fait sans délai.

Le faux Caille fut interrogé une première fois le 19 juin sur sa propre requête. Cet interrogatoire abonde en preuves criantes de l'imposture. Pressé sur les différences de noms qui existaient entre ses propres déclarations et les attestations envoyées de Suisse, le soi-disant Caille répondit qu il n'avait jamais bien connu son véritable nom, que son père lui avait toujours donné ceux d'Entrevergues de Rougon de Caille, qu il croyait avoir vingt-cinq ans, tout d'abord il disait vingt-trois, qu'il n'avait jamais su le nom patronymique de sa mère, qu'il n'avait jamais connu son parrain et sa marraine, qu'il avait dix ans à l époque de son départ de Manosque. Toutes ces réponses trahissaient une singulière ignorance du passé de celui que l'imposteur prétendait représenter. Comment, né dans une classe élevée de la société, ne savait-il ni lire ni écrire? Il prétexta la faiblesse de ses yeux, affligés d'une fluxion depuis sa naissance. Du nom de la rue même du quartier où était la maison paternelle à Manosque, il ne put rien dire. Quelles en étaient les distributions intérieures? Il l'ignorait. Seulement il en décrivit fort exactement les dehors. Combien son père avait-il eu d'enfants? Il répondit trois. Comment était fait son père? Il le dépeignit noir de cheveux et de barbe, brun de visage. Or M. de Caille père avait les cheveux châtains, la barbe rousse, le visage blanc. Sa sœur Lisette, seule survivante des cinq enfants de Caille, sa tante la dame Lignon qui était venue demeurer à Lausanne, sa grand-mère morte à Lausanne, il ne put dire quels étaient, quels avaient été leurs traits, leur taille, leurs cheveux. Voilà on l'avouera un étrange début et un rôle assez mal étudié. Le soldat de marine avait cependant à la fin de ses interrogatoires fait requête au Lieutenant Criminel de Toulon pour être élargi et ressaisi de ses biens. Sur l'ordre du Lieutenant Criminel, l'ensemble des réponses de celui que le procès ne nommera plus désormais que le Soldat de marine fut signifié au sieur de Caille et à ses parents pour y être par eux répondu, le tout communiqué au Procureur du Roi pour être ordonné ce que de raison.

Cependant, si tout chez le Soldat trahissait l'ignorance des faits les plus essentiels, rien en lui ne faisait supposer l'embarras ou la crainte. Lui-même fit lever son interrogatoire et le fit signifier à la dame Rolland, aux sieurs Tardivi et consorts (Jean Pousset), même à des parents du sieur de Caille qui n'étaient intéressés dans la question par aucune possession de biens ayant appartenu aux exilés. La dame Rolland protesta et annonça l'intention de poursuivre l' imposteur au criminel. Une ordonnance du Lieutenant Criminel en date du 16 septembre 1699 porta que le Soldat serait traduit à Manosque et ailleurs pour y être confronté à tous ceux qui le voudraient reconnaître ou désavouer et de son côté le Soldat se hâta de présenter requête en exécution de cette sentence , demandant qu'il fût commis des officiers in partibus à l'effet de cette procédure. M. Rolland se rendit appelant de l'ordonnance, au nom de sa femme, et obtint par requêtes contraires des ordonnances et décrets aux dates des 21 et 27 novembre portant permission d'informer contre le Soldat de la supposition de nom et de prouver que le prétendu fils Caille n'était autre qu'un certain Pierre Mège, fils d'un forçat de galère bien connu depuis vingt ans en Provence.

1699 Retour et abjuration du fils de Caille

Nous avons laissé Isaac de Caille, huguenot, mort en Suisse, ses parents "nouveaux-convertis" restés en Provence en possession de ses biens.

Ces faits divers bien établis, arrivons au commencement du mois de mars 1699. M. de Vauvray, intendant de la marine à Toulon, reçut à cette époque la visite d'un certain abbé Renoux, qui lui amenait un quidam d'assez mauvaise mine. Ce dernier lui dit être le fils du sieur de Caille et lui raconta ce qui suit.
Le sieur de Caille, son père, l'ayant pris en aversion à cause de son intelligence rebelle à l'étude et surtout de son penchant vers la religion catholique, l'avait maltraité à tel point que, pour se soustraire à ses violences, il avait dû fuir la maison paternelle. Ramené plusieurs fois à Lausanne par des parents ou par des amis, il s'en était encore échappé, si bien que son père l'avait étroitement resserré, même emprisonné, jusqu'au jour où, avec le secours d'une servante, il avait enfin réussi à rompre sa captivité. Ce jour-là, profitant du sommeil de son père, il avait pris quarante louis dans la poche de sa culotte et avait gagné pays. Toujours poursuivi du désir d'entrer dans la religion véritable, lui, de Caille fils, ajouta le quidam, avait résolu de revoir la Provence, mais sur la route il avait été arrêté par des soldats de Savoie, enrôlé, puis fait prisonnier par un corps français que commandait M. de Catinat. Présenté au maréchal sous le nom de fils de Caille, il avait expliqué ses intentions, fait naïvement le récit de ses aventures et en avait reçu un passeport pour France. "Une fois arrivé à Nice , dit encore le quidam, je m'engageai dans la milice de Provence. Un jour que j'étais de garde chez le gouverneur, je vis porter par un maître d'hôtel un bassin d'argent aux armes de ma famille, que mon père avait dû vendre avec le reste de sa vaisselle pour subvenir aux frais de notre fuite en Suisse. Cette vue d'un objet, qui me rappelait une heure bien triste de ma vie, me toucha et comme je ne pouvais retenir mes larmes, on m'en demanda la cause". "J'ai bien sujet de pleurer", répondis-je en montrant mon cachet où étaient gravées ces mêmes armes. Le chevalier de la Fare, qui commandait à Nice, informé de cet incident, me voulut voir, me fît raconter mon histoire, et depuis ce jour me traita avec distinction.

M. de Vauvray, qu' intéressa cette aventure, fit quelques questions à ce fils de Caille. Il lui demanda par exemple quel motif l'avait porté, depuis son arrivée en Provence, à garder le mystère sur son état véritable. Car depuis l'aventure de Nice il y avait une lacune dans l'histoire du fils de Caille. Celui-ci expliqua qu'il avait voulu revoir son pays natal, qu'il était venu secrètement à Manosque où une de ses nourrices l'avait reconnu, mais que, sachant la rigueur des lois et n'ayant pas encore abjuré, il avait craint de passer pour un espion des Huguenots. Son seul désir, devenu de plus en plus violent, d'embrasser la religion catholique, avait pu lui délier la langue. Ce qu'il y avait de plus clair dans tout cela pour M. de Vauvray, c'était une conversion à faire. Or les conversions étaient bien venues à la Cour. Les Jésuites, qui pilotaient le quidam, réclamèrent vivement l'honneur de faire rentrer cette brebis dans le troupeau et ils menèrent si rondement l'instruction religieuse du jeune de Caille que, cinq semaines après son apparition, ils le jugeaient digne d'abjurer. La cérémonie se fit, le 10 avril 1699, dans l'église cathédrale de Toulon, entre les mains du Grand Vicaire.

Il faut noter quelques détails singuliers dans cet acte. Le fils de Caille y prenait les noms d'André d'Entrevergues, fils de Scipion d'Entrevergues, sieur de Caille et de feu dame Suzanne de Caille, âgé de vingt-trois ans. Or de Caille père se nommait le Brun de Castellane , seigneur de Caille et de Rougon, ne prenait jamais dans un acte public le nom d'Entrevergues, qui lui appartenait toutefois, et sa femme, demoiselle Judith le Gouche, n'avait jamais, contrairement aux habitudes du temps, pris le nom de son mari . Nous savons, de plus, que le fils de Caille aurait eu en 1699 trente-cinq ans et non vingt-trois. L'imposture était évidente. On n'y prit pas garde à cette heure. Seulement M. de Vauvray, témoin à l'acte d'abjuration, s'étonna fort quand il entendit le fils de Caille déclarer qu'il ne savait point écrire. "Serions-nous pris pour dupes ?" dit l'Intendant de la Marine. Mais les Jésuites étaient si fiers de leur acquisition que M. de Vauvray ne pensa pas à troubler leur triomphe.

1685 L'exil de la famille de Caille

A Manosque, petite ville de l'ancienne Provence, aujourd'hui chef-lieu de canton du département des Basses-Alpes, vivait vers 1660 un certain Scipion le Brun de Castellane, seigneur de Caille et de Rougon. Il avait, en 1655, épousé demoiselle Judith le Gouche, d'une bonne famille de robe. Les deux époux professaient la religion calviniste, ou, comme on disait alors, prétendue réformée. En 1685, Louis XIV ayant révoqué le célèbre édit de 1598, dit "Edit de Nantes", qui accordait aux protestants la tolérance et des places de sûreté, le Brun de Castellane quitta la France comme firent tant d'autres malheureux que chassait de leurs foyers l'intolérance catholique. La famille exilée se composait de cinq personnes : le Brun de Castellane, sieur de Caille, sa mère, son fils et deux filles. Depuis six ans Judith le Gouche était morte, ainsi que deux de ses fils décédés en bas âge, l'aîné seul, Isaac, survivait, et avait vingt et un ans au moment où il quitta la France. Un ministre de la religion, Bernard, précepteur du fils de Caille, accompagnait la famille ainsi que plusieurs domestiques. Les de Caille allèrent s'établir à Lausanne, petite ville de la Suisse bernoise. Au mois de décembre 1689, Louis XIV compléta son œuvre d'intolérance par un édit de spoliation, qui attribuait aux parents les plus proches les biens des calvinistes émigrés. A cette époque la famille de Caille ne se composait plus que de quatre personnes, une des filles étant morte en 1686. Quelques mois après l'édit de spoliation l'aïeule mourut à son tour. Parmi les parents des de Caille restés en Provence et qui avaient préféré l'abjuration à l'exil, quatre se présentèrent pour se disputer les dépouilles de leurs proches : c'étaient la dame Rolland, née Anne le Gouche, propre sœur de la dame de Caille et épouse d'un sieur Rolland, avocat général au Parlement du Dauphiné, une dame Tardivi, parente du sieur de Caille, femme d'un conseiller du roi au siège de Grasse, un sieur Jean Pousset de Cadenet, un sieur de Muges. Ce dernier se prétendait substitué par un fidéi commis aux droits des émigrés.
Un arrêt du parlement de Provence, en date du 30 juin 1690, débouta de Muges, adjugea à la dame Tardivi pour la plus grande part, et à Pousset pour le reste, les biens paternels qui montaient à douze mille livres de rente environ et saisit la dame Rolland des biens maternels évalués à deux mille cinq cents livres de rente.







Le 15 février 1696, Isaac de Caille, sieur de Rougon, le dernier des fils de le Brun de Castellane, mourut à Vevey d'une maladie de langueur. Le malheureux père, après avoir vu s'éteindre dans ses bras ce dernier espoir de son nom, informa de ce nouveau malheur ses parents de Provence. La dame Rolland qui, espérant pour son neveu des temps meilleurs, lui conservait sa petite fortune, en disposa sur cette nouvelle en faveur des pauvres de la Charité de Manosque. La donation entre vifs à la date du 5 décembre 1698, qui gratifiait cette communauté de la maison du sieur de Caille et d'un domaine de 800 livres de rente, donnait comme motif de cette gratification la mort du sieur de Caille de Rougon.