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mardi 26 juin 2012

1368 Louis d’Anjou et Bertrand du Guesclin attaquent la Provence

Profitant du départ du pape Urbain V vers Rome, Louis d’Anjou, dont les sénéchaussées étaient infestées par les Compagnies de routiers, décida de les regrouper. Sur la rive droite du Rhône, les plus avertis craignirent que le frère du roi de France utilisât ces soudards à des fins toutes personnelles. C’était le sentiment de Philippe de Cabassolle, le recteur du Comtat Venaissin. Averti du passage dans les différents diocèses languedociens d’une multitude de gens d’armes, le 11 juillet 1367, il annonça au pape la menace que faisaient peser ces « societates » sur les frontières occidentales du Comtat et de la Provence[N 1]. Le recteur, inquiet, ordonna à Pons Bernard, Capitaine de Carpentras, de fermer les portes des remparts de sa ville et d’élever des murs de terres du château de Serres jusqu’à la Porte d’Orange. Urbain V, qui passait l’été à Viterbe dans la forteresse construite par le cardinal Albernoz, prit cette menace très au sérieux. Face à la volonté évidente de Louis d’Anjou d’envahir la Provence et d’occuper le Comtat, le pape demanda aux Provençaux de rester fidèles à la reine Jeanne par une lettre bullée datée du 30 juillet 1367.
Au fil des jours, la menace se précisa. Vers la mi-septembre, sur ordre de l’Angevin, les capitaines des routiers firent mouvement vers la vallée du Rhône. Enfin le 25 septembre, Olivier de Mauny[N 2] et ses troupes s'installèrent à Beaucaire en compagnie du duc. Ils s’y cantonnaient dans l’attente de la venue de Bertrand du Guesclin, toujours prisonnier du Prince Noir à Bordeaux.
L’affaire fut jugée si grave à Rome que le 27 Septembre 1367, une bulle d’Urbain V excommunia tous ceux qui apporteraient aide aux routiers. D’autant que le pape, jugeant Raymond d’Agoult incapable comme sénéchal de Provence, se sentit obligé, le 11 décembre, de donner son sentiment à la comtesse-reine : « Nous croyons qu’il conviendra à ton honneur et état et nous te suggérons d’un conseil paternel ». Il lui proposa de le remplacer par Guillaume Augier de Forcalquier, le sire de Viens[N 3].
Des bruits de mauvais augures traversèrent le Rhône. Dans la sénéchaussée de Beaucaire la rumeur courait que, le 7 février précédent, Bertrand du Guesclin, de passage à Montpellier, avait regroupé tous ses Capitaines routiers[N 4]. Ce fut là qu’il apprit que le duc d’Anjou et son cousin Olivier de Mauny l’espéraient à Nîmes. Le Breton décida de les rejoindre en compagnie du maréchal Arnould d'Audrehem[N 5].
Il fallait se préparer à la guerre. Elle fut déclenchée le 26 février 1368 quand Louis d’Anjou donna ordre aux troupes placées sous le commandement de du Guesclin d’envahir la Provence. Le Sénéchal de Beaucaire, Amiel des Baux, organise leur passage sur l’autre rive du Rhône grâce à des ponts de barques[N 6]. La réaction de Raymond d’Agoult, sénéchal de Provence, se faisant attendre, personne ne fut surpris d’apprendre que, le samedi 4 mars1368, Bertrand du Guesclin avait mis le siège devant Tarascon[7],[N 60]. Au cours de celui-ci, Béranger de Raymond, chevalier d’Avignon, fut tué, tandis que Louis de Trian, vicomte de Tallard, Bernard d’Anduze, seigneur de la Voulte, et Foulques d’Agoult, furent fait prisonniers.
Avant qu’ils ne menacent Avignon, Philippe de Cabassolle fit immédiatement entamer des négociations préliminaires avec les Capitaines de Louis d’Anjou. Un accord fut passé le 23 mars. Pour détourner les Bretons de la cité pontificale, les Avignonnais avaient accepté de leur payer 37 000 florins avec la promesse d’en verser immédiatement 5 000. Pour recouvrer cette créance, Bertrand du Guesclin, dès le lendemain, délégua Janequin le Clerc, son procureur anglais, auprès du banquier avignonnais, André de Tis, mandant de Michel de Baroncelli qui avançait la somme. Mais dans le même temps les Sociétés à la solde du duc d’Anjou mirent pieds dans le comté de Provence.
Le 3 avril, le pape dépêcha un émissaire au roi Charles V[69]. Il était chargé de lui remettre des lettres dénonçant l’agression de son frère contre la Provence, comté de leur parente Jeanne de Naples, ainsi que le scandale de cette invasion sans cause, sans prétexte et sans déclaration de guerre. Pour bien se faire comprendre Urbain V menaçait même le roi de France d’une réplique menée par une coalition contre la Sénéchaussée de Beaucaire et le Dauphiné. Deux jours plus tard, le Doge de Gênes reçut un bref pontifical lui enjoignant de ne pas soutenir les attaques dirigées de la France contre la Provence.
Le Sénéchal Raymond d’Agoult, qui avait enfin levé des troupes, se porta au secours de Tarascon et d'Arles, assiégées depuis le 23 mars par messire Bertrand. Au cours de ce siège, Guiraud de Simiane, Arnaud de Villeneuve et Isnard de Glandevès, seigneur de Cuers, furent faits prisonniers. La rencontre des deux armées eut lieu devant cette cité le 11 avril.
Luquet de Girardières, le lieutenant du sénéchal, se heurta au « Dogue Noir »[N 61], qui à la tête de ses troupes attaque la cavalerie provençale. L’affrontement se solda par la déroute des troupes fidèles à la reine Jeanne.
La débâcle des nobles provençaux imposait de mettre en place des mesures rapides pour éviter le désastre. Les États de Provence se réunirent d’urgence le 21 avril, à Aix-en-Provence, et chargèrent Louis de Trian, libéré après rançon, de prendre la défense de la capitale du comté. Pendant ce temps, une bulle pontificale, datée du 18 avril, porta condamnation des Avignonnais qui ravitaillaient les Bretons assiégeant Tarascon. Tandis que le 27 du même mois, Urbain V se vit obligé de rassurer par lettre la reine Jeanne. Le pape lui confirma qu’il ne se laisserait jamais abuser par les mensonges de ses adversaires et l’exhortait à secourir et aider ses très fidèles provençaux.
Ce ne fut pas pour inquiéter les Français et les Bretons. Leur seul problème, pour l’instant, était de transférer de nouveaux renforts sur la rive provençale du Rhône, le pont de barques mis en place par Amiel des Baux ayant cédé. Il fut réglé le 20 mai, Louis d’Anjou ayant débauché Rainier Grimaldi, seigneur de Monaco, qui remonta le Rhône pour assurer le passage des derniers routiers de du Guesclin. Deux jours plus tard Tarascon capitula.
L’incapacité du sénéchal de Provence ayant miné la confiance, même dans le Comtat, il fallut une bulle pontificale, datée du 26 mai, pour remettre les esprits en place. Urbain V ordonna à tous les nobles comtadins de suivre à la lettre les directives données par le recteur Philippe de Cabassolle.
Face à une telle agression, toute la Provence s'inquiéta. Le 5 juin 1368, le Conseil de Ville de Sisteron, instruit des sévices de Bertrand du Guesclin, décida de suivre l’exemple des cités voisines qui fermèrent leurs portes « en criant que le diable venait ». Le Conseil statua que tous ceux qui refuseraient de monter la garde aux remparts ou qui abandonneraient leur poste sans qu’ils en aient eu l’ordre seraient passibles d’une amende de 100 marcs d’argent ou auraient une main ou un pied coupé.
Le 12 juin, le sénéchal de Provence se dit informé que « Bertrandus de Cliquino » - comprendre Bertrand du Guesclin -se dirigeait avec ses compagnies vers Barjols, Flayosc et Draguignan.
Mais le mercredi 5 juillet, elles se trouvaient devant Aix, défendue par le vicomte de Tallard. Et pendant que les Bretons mettaient le siège avec leurs machines de guerre, Raymond d’Agoult, fils du sénéchal, en profitait pour faire attaquer Aigues-Mortes afin de bloquer les arrières français[. L’archevêque d’Arles, Guillaume de la Garde, s’étant ouvertement déclaré pour Louis d’Anjou, fut mis en accusation pour trahison et crime. Le sénéchal donna ordre à son lieutenant Luquet de Girardières de se saisir du temporel de l’archevêque.
Les Bretons, tout en continuant à ravager la province convoitée par le frère du roi, envisageaient une jonction avec les troupes de Grimaldi à Nice. Certaines compagnies se dirigèrent déjà vers la côte. De plus, on disait qu’Olivier du Guesclin, le frère de Bertrand, s'en allait vers les Baronnies pour s’installer dans cette région où s’entremêlaient les terres adjacentes dauphinoises et provençales. Il installa, en effet, ses troupes dans les fiefs baronniards de la maison des Baux[.
Confirmation fut donnée le 18juillet1368 quand Raymond d’Agoult leva quatre cent lances[N 66], la fine fleur de la noblesse provençale, pour traverser le Luberon et rejoindre la vallée du Calavon. Les Bretons avaient évité d’attaquer Apt car la ville était trop bien protégée par ses remparts et ses bouches à feu, trente bombardes garnies « per lo passage de Mosenhor Bertran de Cliquin »[. Immédiatement les lances du Sénéchal se lancèrent à la poursuite de cette « Longue Route ».
Arrivée en vue du village de Céreste, l’avant-garde du sénéchal traversa le village et se trouva face aux Routiers. Les cavaliers provençaux se lancèrent à l’attaque. Ils furent secoués, malmenés, bousculés et taillés en pièces aux cris de «Notre-Dame Guesclin » ! Ce fut à nouveau une cuisante défaite.
Le 9 août, Raymond, le prince d’Orange, mit sa ville en état d’alerte. Le 20 août, Perrin de Savoie et le Bâtard de Comminges, qui avaient quitté les Baronnies où se cantonnait Olivier du Guesclin, traversaient le fleuve au pont du Saint-Esprit. Ils avaient averti le Prince d’Orange qu’ils ne feraient que passer sur ses terres. Ce qui ne les avaient point empêché de mettre à sac le village de Sainte-Cécile dans la vallée de l’Aigues.
Le passage des Sociétés de « Mosenhor de Cliquin » avait laissé le pays exsangue. Tout avait été ravagé. Des villages, hameaux, bastides et écarts avaient été mis à sac, brûlés ou vidés de leurs provisions. Dans le Comtat, les impositions pontificales[ qui arrivaient à la suite de ces exactions et pillages provoquaient une émotion qui se mua bien vite en rébellion armée des « Laborieux ».
C’était tout un peuple qui s’insurgeait. La répression des nobles provençaux fut terrible. Dans chaque hameau et village nombre de paysans furent pendus pour l’exemple, d’autres enterrés vifs, enfin certains furent tout bonnement broyés sous des meules de moulins. Leurs femmes et leurs filles furent violées.
À Montefiascone, les nouvelles des évènements de Provence firent l’effet d’une catastrophe. Bien que coincé entre sa sympathie pour la cause française et son écœurement face aux exactions commises par le frère du roi en Provence, Urbain V ne balança point. Une bulle datée du 1er septembre 1368 excommunia Bertrand du Guesclin et sa clique. Elle fut totalement occultée en France. Immédiatement Charles V fit intervenir les cardinaux du parti français pour la faire annuler. Urbain V ne céda pas et l’excommunication fut rendue publique le 14 septembre.
 
Source : Wikipédia.
Notes :

Le terme « societates » (sociétés) désignait les groupes constitués allant de l’organisation d’un quartier à une compagnie de Routiers.
Olivier de Mauny, pour ses bons et loyaux services, fut fait capitaine général de Normandie et devint chambellan de Charles VI.

Raymond d’Agoult, troisième Sénéchal de Provence issu de la famille comtale de Sault, garda non seulement ses hautes fonctions mais devint Amiral du royaume de Naples pour les mers du Levant et fut chargé de conduire des ambassades pour la reine Jeanne en Italie et en Espagne.

Bertrand du Guesclin, rançon payée, avait été libéré 27décembre1367 par le Prince Noir et avait immédiatement quitté Bordeaux.

Arnould d’Audrehem (1305-1370) était devenu le bras droit de du Guesclin.

Louis, duc d’Anjou, pour ses œuvres, fut qualifié « d’exacteur, mais viril et intelligent ». Il avait nommé Amiel des Baux, Sénéchal de Beaucaire, en remplacement de Gui de Prohins, le 23 avril 1367. Le Bâtard succédait ainsi à son père Agoult et à son demi-frère Bertrand.

L'importance de Tarascon était devenue primordiale à partir du XIIe siècle. Son emplacement stratégique en faisait le verrou de la basse vallée du Rhône. En effet, le contrôle de la navigation avait une importance capitale à une époque où les routes étaient peu praticables et peu sûres. De cette époque, date l'établissement, à proximité immédiate du premier château, de familles nobles ainsi que de marchands et commerçants. La ville, qui faisait face à Beaucaire, siège de la Sénéchaussée, fut ceinte alors de remparts et une première réfection du château entreprise à la fin du XIIIe siècle.

Héros incontournable de nos livres d’Histoire de France, le futur connétable de France, tout comme l’Archiprêtre et les Tard-Venus, eût un goût particulier pour rançonner et piller Avignon et la Provence. Si Innocent VI, pour voir déguerpir ces Routiers accepta toujours de leur payer tribut, Urbain V fut heureusement moins souple avec Bertrand du Guesclin.

Ces renseignements sont contenus dans le « Livre Vert », un des rares documents municipaux conservés depuis le XIVe siècle. Le 9 juin 1368, le Conseil de Ville de Sisteron, qui avait engagé des gens d’armes piémontais (tramontanos) assista à la montre. Francheschino Bolleris, bayle (bailli) et Capitaine de Sisteron, seigneur de Roccasparvera, présenta aux syndics Jean Baudoin et Pierre Autard, les 25 brigands placés sous le commandement des connétables Jacques Brutini de Rivoli et Jean Ruelle de Savillon. Moyennant leur solde, ceux-ci s’engageaient pour un mois à défendre la ville et à ne pas en sortir sous peine d’amende. Le Conseil rappela qu’il est le seul habilité à louer des compagnies et à les passer en revue en compagnie du bailli.

Seul Froissart le nomme Bertrand du Guesclin. En Bretagne, il était désigné comme Bertrand de Gueaqûi, tandis que les différentes chroniques qui font état de ses faits d’armes l’appellent indifféremment Glacquin, Claquin, Gleaquin, Glyaquin, Glesquin, Gleyquin, Cliquin ou Claiquin.

vendredi 22 juin 2012

1536 Charles Quint en Provence

Après la capitulation de Fossano, le brave La Roche du Maine, aussi distingué par la vivacité de son esprit que par sa valeur, avait été présenté à Charles Quint. L'empereur fit grand accueil au capitaine français, l'embrassa et devisant familièrement avec lui, lui demanda comment il trouvait l'armée impériale.
-Très belle, répliqua La Roche du Maine, c'est seulement dommage qu'elle ne soit employée contre le Turc plutôt que contre la Provence!
-Les Provençaux sont mes sujets, répartit l'empereur; on se rappelle que le royaume d'Arles avait jadis relevé de l'Empire.
-Votre Majesté les trouvera sujets fort rebelles et désobéissants.
-Combien de journées, dit-encore l'empereur, peut-il y avoir du lieu où nous sommes jusqu'à Paris?
-Si Votre Majesté entend journées pour batailles, il peut y en avoir une douzaine pour le moins, sinon que l'agresseur ait la tête rompue dès la première.
L'empereur sourit et lui donna gracieusement congé. Les paroles hardies de ce brave officier ne lui parurent qu'une boutade sans conséquence; depuis qu'il avait fait reculer Soliman et vaincu Barberousse, il ne croyait pas que personne au monde pût lui résister; son armée était enfin au complet; autour de lui se pressaient un grand nombre de princes allemands et italiens et ces fameux capitaines qui lui avaient conquis l'Italie, les de Leyve, les du Guâ et ce duc d'Albe, Fernand Alvarez de Tolède, qui surpassa leur gloire et leurs crimes.
L'empereur prit la route de Nice et de la Provence, laissant seulement un corps de troupes en observation devant Turin. Ses meilleurs généraux l'exhortaient à chasser entièrement les Français des états de Savoie avant que de passer outre; il répondit que Paris et la couronne de France devoient être le prix et loyer de cette victoire et non pas Turin et le Piémont. La grandeur des préparatifs de l'empereur montrait assez qu'il ne comptait pas faire une vaine bravade. Outre l'armée dirigée contre la Provence, deux corps considérables réunis l'un aux Pays-Bas l'autre en Allemagne devaient attaquer le premier la Picardie, le second la Champagne. Charles avait même ordonné des levées en Espagne pour insulter le Languedoc avec l'assistance de la flotte d'André Doria.
L'empereur franchit donc le Var à la tête de cinquante mille bons soldats, dont deux mille cinq cents lances garnies; tous les défilés des montagnes étant gardés, le passage de Nice et du Var était le seul par où l'on pût pénétrer en France. Charles Quint avait combiné ses mouvements de manière à franchir la frontière avec son avant garde le 25 juillet; c'était la fête de saint Jacques patron de l'Espagne et l'anniversaire du jour où, l'année précédente, l'armée impériale était entrée dans Tunis. Charles, dans la harangue qu'il adressa à ses soldats lorsqu'il mit le pied sur le sol français, tourna cette coïncidence en augure envoyé du ciel même et inspira aux troupes un enthousiasme qui les eût rendues invincibles si elles avaient eu à livrer bataille sur le champ. Il magnifia en termes emphatiques l'excellence de ses soldats et ravala dédaigneusement les Français répétant comme il l'avait déjà dit dans son discours de Rome que "si le roi de France avoit tels gens comme étoient les siens et lui tels gens que ceux du roi de France il iroit demander miséricorde à François Ier les mains liées derrière le dos". Les Impériaux se croyaient si assurés de la victoire que déjà quelques uns des capitaines demandoient les charges, états, places et biens des principaux de la cour de France et même les chapelains demandoient les bénéfices et prélatures sans attendre la mort de ceux qui les possédoient. Durant huit jours que séjourna l'empereur à Saint Laurent, première bourgade française deçà le Var, en attendant le reste de l'armée, ne fut mention d'autres dépêches que de dons et départements, d'états, offices, gouvernements, capitaineries, villes, châteaux et autres biens des sujets et serviteurs du roi.
La confiance de l'empereur reposait non seulement sur ses propres ressources mais encore sur celles qu'il croyait avoir enlevées à son ennemi; les rigueurs barbares de François Ier envers les réformés de France et les liaisons de ce prince avec le sultan n'avaient fourni contre lui que trop d'arguments à Charles qui pensait avoir réussi à écarter les lansquenets protestants et même les Suisses du service du roi. Charles se trompait, ses intrigues avaient été paralysées par les habiles négociations de du Bellai-Langei et, en ce moment même, des milliers de Suisses entraient en Dauphiné et venaient joindre le roi à Valence. Du Bellai avait fait plus encore, aidé par le duc de Wurtemberg, qui n'oubliait pas les bienfaits de François Ier; il était parvenu à dissoudre presque entièrement un corps de douze ou treize mille lansquenets levé par le roi des Romains pour attaquer la Champagne. Sept ou huit mille passèrent au service de France.
Le roi se tenait à Valence afin de diriger toutes les bandes et tous les convois qui lui arrivaient sur Avignon, où s'assemblait l'armée française sous les ordres du grand maître Montmorenci, lieutenant général du roi. On s'était saisi d'Avignon par surprise, malgré la résistance du vice-légat qui commandait pour le pape dans le Comtat Venaissin. La situation d'Avignon, qui commande à la fois le cours du Rhône et celui de la Durance, était très favorable à l'assiette d'un camp retranché, mais le choix de ce poste indiquait implicitement l'abandon de tout le pays entre le Rhône, la Durance et les Alpes c'est-à-dire de presque toute la Provence.
On s'était en effet résolu à ce cruel sacrifice, des corps de troupes avaient été chargés de parcourir la contrée et de signifier aux habitants des villages et des bourgades qu'ils eussent à retirer sous bref délai tous leurs meubles, vivres et bestiaux dans les châteaux et les villes fortifiées. Toutes les campagnes furent livrées à une dévastation systématique sans pitié pour les malheureux qui ne purent obéir à temps, les fours et moulins furent détruits, les blés et fourrages brûlés, les puits gâtés, les vins répandus à ruisseaux. Les villes eurent leur tour; toutes furent reconnues non tenables sauf Arles, Tarascon et Marseille. Barcelonette, Grasse, Antibes, Draguignan, Digne, Saint-Maximin, Brignolles, Toulon, Aix même, la capitale de la contrée, le séjour du parlement de Provence, furent ravagés, démantelés et vidés de tous biens à mesure que l'ennemi s'en approcha. Le saccagement d'Aix offrit le plus lamentable spectacle de tout le pays environnant; les populations s'étaient réfugiées dans cette capitale que personne ne s'imaginait devoir être évacuée par les gens du roi; l'ordre de déloger d'Aix arriva si promptement qu'il fut presque impossible de rien sauver; les pertes furent immenses. La Provence presque entière présentait l'aspect d'une ville abandonnée après avoir été pillée; les populations se retirèrent en masse dans les bois, dans les montagnes et dans le pays au nord de la Durance où elles souffrirent de cruelles misères; rien n'avait été préparé pour les soulager; le général en chef Montmorenci aggrava encore par sa dureté et son imprévoyance les mesures terribles qui avaient été jugées nécessaires et auxquelles une grande partie du peuple et de la noblesse avait coopéré avec un généreux dévouement.
L'empereur s'était avancé par Grasse, Antibes et Fréjus s'éloignant peu de la mer; il attendait par cette voie la plupart de son artillerie et de ses munitions, embarquées sur les galères d'André Doria. Charles ne rencontra d'abord aucune résistance sérieuse, seulement son bagage fut brûlé en partie près de Fréjus par des paysans embusqués dans les bois et par compensation son avant-garde écrasa près de Brignolles un faible détachement français. Ce léger avantage, enflé par l'habile jactance du vainqueur, redoubla la confiance de l'armée impériale et jeta quelque découragement dans le camp d'Avignon.
Le roi apprit le même jour à Valence deux fâcheuses nouvelles :  l'échec de Brignolles et la prise de Guise par les comtes de Nassau et de Reux, lieutenants de l'empereur aux Pays-Bas. Ces deux capitaines impériaux avaient été d'abord repoussés des bords des rives de la Somme par les populations picardes et par les ducs de Vendôme et de Guise à Saint Riquier; les habitants s'étaient vaillamment défendus et les femmes avaient renouvelé les exploits des héroïnes de Beauvais. Les assaillants s'étaient rabattus sur l'Oise et, se jetant à l'improviste sur Guise, l'avaient emportée grâce à la lâcheté de la garnison qui offrit un honteux contraste avec le courage des femmes de Saint Riquier. [...]
L'armée impériale avançait lentement à travers un pays désolé, dont les habitants réfugiés dans les bois et dans les montagnes harcelaient les envahisseurs, par une guerre de partisans acharnée, impitoyable. Charles Quint avait compté faire reconnaître sa souveraineté impériale dans Aix, capitale de la Provence, par le parlement et par les trois ordres et y prendre solennellement possession de l'ancien royaume d'Arles; il ne trouva qu'une ville dépeuplée, abandonnée, ouverte de toutes parts. L'empereur commença de concevoir de sérieuses inquiétudes touchant l'issue de son entreprise; les maladies et la disette tourmentaient son armée, le pape et les autres puissances d'Italie s'excusaient de prendre part à la guerre, les nouvelles de Piémont étaient très mauvaises pour la cause impériale. Charles comprit que chaque jour de délai fortifiait les Français, en diminuant les chances de succès qui lui restaient; il balançait entre les siéges d'Arles et de Marseille; il alla diriger lui-même une reconnaissance sur cette dernière ville et envoya le marquis du Guât vers Arles. Mais Arles et Marseille étaient toutes deux en très bon état de défense; la vaillante garnison de Fossano avait été envoyée à Marseille avec d'autres troupes et les approches de l'empereur furent si vivement repoussées qu'il y perdit beaucoup de monde et y courut grand péril de sa personne. Charles reconnut que l'un et l'autre siége offrirait des difficultés presque insurmontables; la position de l'armée impériale devenait de plus en plus critique, tous ses détachements étaient taillés en pièces, tous ses convois surpris, soit par les partis de cavalerie qui s'élançaient du camp d'Avignon, soit par les habitants du pays; la contagion frappait encore plus d'Impériaux que le fer des Français; la plus éminente victime fut Antoine de Leyve (10 septembre). Cependant les galères de Doria rapportèrent d'Espagne des vivres et de l'argent; on en fut informé au camp d'Avignon, on y sut aussi que Charles avait fait "la montre" (la revue) de son armée et ordonné aux soldats de s'apprêter à marcher; on pensa que l'empereur voulait risquer une grande bataille et attaquer le camp d'Avignon; le nouveau dauphin Henri, puis le roi, accoururent près de Montmorenci et l'on se disposa joyeusement à recevoir l'assaut. Mais bientôt vinrent nouvelles au roi comme l'empereur et tout son camp étoient délogés, reprenant le chemin par où ils étoient venus, le long de la mer et laissant derrière eux outre les morts qui étoient en nombre infini, une grande multitude de malades. La moitié de l'armée impériale avait péri ou était hors d'état de porter les armes, poursuivie avec fureur dans sa retraite par les paysans et par les chevau légers de l'armée royale; elle fit encore de grandes pertes. Charles Quint lui-même, en traversant les cantons âprement accidentés où se prolongent les dernières collines des Basses-Alpes, faillit tomber sous les coups d'une de ces bandes de montagnards que la vengeance et la faim animaient d'une rage indomptable; cinquante paysans exercés au maniement de l'arquebuse s'enfermèrent dans une tour près du village du Mui entre Draguignan et Fréjus, résolus d'attendre au passage cet empereur dont l'invasion causait la ruine de leur province, de tirer tous à la fois sur lui et de le tuer quoi qu'il en pût advenir après. Il s'en fallut de bien peu qu ils n'exécutassent leur intention car ils en tuèrent un, qu'ils pensoient être l'empereur à cause de son riche accoutrement et des gens qui lui déféroient et lui faisoient honneur. C'était le fameux poète Garcilasso de la Vega. Ces braves gens arrêtèrent un moment toute l'armée de l'empereur au pied de leur tourelle, ils furent enfin pris et pendus mais leur mort glorieuse ne fit qu'exciter la fureur de leurs compatriotes. Toutes les routes entre Aix et Fréjus étaient couvertes de cadavres d'hommes et de chevaux, de harnais et d' armes abandonnés, de mourants gisant pêle-mêle avec les morts. Charles Quint et les débris de sa redoutable armée repassèrent le Var le 23 septembre, deux mois jour pour jour après leur entrée en France. Charles regagna Gènes puis s'embarqua pour Barcelone afin d'aller suivant un bon mot du temps "enterrer en Espagne son honneur mort en Provence". Une tempête fit périr en chemin huit de ses bâtiments.  [...]
L'année 1536 fut, après celle de Marignan, la plus glorieuse de la vie de François Ier, à cette guerre toute fabienne, on ne reconnaissait plus les téméraires aventuriers de Pavie. La santé affaiblie du roi était bien pour quelque chose dans sa prudence. Malheureusement, les moyens n'avaient pas été aussi bien ménagés que le plan général avait été sage et le succès avait coûté cher aux peuples; la Provence ne s'en releva pas de longtemps. Les États de ce malheureux pays qui mourait de faim avaient réclamé la diminution des impôts; le roi, tout en protestant de son bon vouloir, répondit que les besoins et les périls de l'État ne lui permettaient pas, quant à présent, de satisfaire à la demande des Provençaux. C'était manquer aux plus simples notions d'équité que de ne pas répartir sur les autres provinces la part de la Provence dans l impôt. Le roi fit seulement faire quelques réparations à Aix et dans les autres villes dévastées.

Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789

Par Henri Martin

mardi 19 juin 2012

Cahiers de Doléances : partie provinciale , 21 articles

Province.

Art.1er Dans la répartition de l'impôt sera suppliée Sa Majesté d'observer que l'huile est presque la seule denrée de la province qui puisse lui donner quelque aisance, que les oliviers périssent fréquemment ; on doit rappeler, à ce sujet, leur mortalité en 1558, 1767, et celle de l'année courante.

Art.2. Attribution aux consuls du droit de police, et celui d'autoriser le conseil, puisque la province a acquis les mairies.

Art.3. Etablissement des bureaux de pacification dans toutes les communes.

Art.4. Abolition des visites ordonnées aux consuls, lors des descentes des commissaires des cours souveraines.

Art. 5. Nomination par les députés du tiers à la sénéchaussée d'un nombre de commissaires qui resteront assemblés pendant la tenue des Etats généraux et qui auront le pouvoir de modifier les instructions donnés aux députés aux Etats généraux pour rendre le travail moins embarrassant.

Art.6. La justice rendue gratuitement.

Art.7. Emploi de la dîme plus conforme à son institution.

Art.8. Charge expresse à nos mandataires de ne voter l’impôt qu’après la constitution donnée et les redressement des griefs de la nation ; l’assemblée excepte néanmoins ce cette prohibition, les cas où, faute de quelques subventions ou ressources pécuniaires, l'Etat même serait en péril, et le mouvement nécessaire au gouvernement arrêté ; dans ce cas seulement, attesté par l'évidence de la nécessité, l'assemblée autorise ses représentants à consentir, avant toute autre discussion, à l'octroi purement nécessaire.

Art.9. Suppression de tous privilèges exclusifs accordés à des compagnies de commerce.

Art.10. Suppression des pensions que plusieurs particuliers payent pour les biens des religionnaires fugitifs du royaume.

Art. 11. Que quand les pauvres communautés plaideront à la chambre des eaux et forêts, ou au parlement avec le seigneur qui en sera membre, on puisse évoquer à Grenoble.

Art.12. Que la communauté soit autorisée à racheter, sur le pied du trois pour cent, les taxes qui portent tant de préjudice à la culture, ainsi que les banalités.

Art.13. Abolition des corvées; ce droit parait contraire la liberté française.

Art.14. Que les communautés seront dispensées de payer le droit d'indemnité de la maison de ville, de la maison curiale, et de tous les édifices publics qui lui sont nécessaires, et dont elle a payé les lods au seigneur, lors de l'acquisition.

Art.15. Que quand on a payé les lods à son seigneur, ou à son fermier, ou son procureur fondé, il ne puisse pas user du droit de rétention, c'est-à-dire, qu'il ne puisse pas, vingt ou vingt-cinq années après, venir dépouiller un pauvre homme qui a employé toute sa sueur améliorer le bien.

Art.16. Demander que quand le seigneur fait quelque procédure, ou qu'il forme quelques prétentions aux pauvres habitants, ses officiers soient exclus de dresser les procès-verbaux.

Art.17. Sera très-respectueusement suppliée Sa Majesté de faire en sorte que l'impôt territorial, s’il a lieu, frappe, de préférence, sur les communautés, qui ne doivent presque point de charges aux seigneurs, et qu'on ait égard à celle-ci qui est déjà assez criblée des droits seigneuriaux, ainsi qu'on le verra par le tableau suivant.

La communauté de Saint-Martin paye:
1. La sixième partie de tous les grains, blé, seigle, lentilles, pois, fèves, pois chiches.
2. Deux poulets pour chaque jardin.
3. La septième partie des oliviers.
4. La neuvième partie du chanvre et des raisins; et pour les prés, six deniers par eymine.
5. Chaque maison doit trois gelines
6. Les lods, dus au treize selon notre transaction, mais exigés par le seigneur au six.
7. La seizième partie du blé qu'on moud aux moulins banaux du seigneur.
8. La communauté entretient, à grands frais, la martellière des Hermitants pour conduire l'eau au moulin du seigneur.
9. Chaque charrue paye annuellement deux corvées
10. La neuvième partie des amendes[1].
11. Paye la dîme au seize.
12. Sept cosses et demi de blé pour chaque mariage, et la moitié pour les veufs ou veuves, et la construction des fours demeure que l'entretien est à la charge de la communauté.

Si, après des charges aussi excessives que celles que nous payons au seigneur, qui emportent la moitié des fruits que les pauvres habitants ont tirés de la terre, par la sueur de leurs fronts, et qui sont encore accrus par les procès de toute espèce que le seigneur intente contre eux, on venait a mettre un nouvel impôt sur cette communauté, sans diminuer les droits du seigneur, il n'y aurait plus moyen de vivre.

Art 18. Qu'il soit permis aux habitants de cette communauté de mettre la terre dans leurs étables et bergeries, et de la sortir, pour l'engrais de leurs prés et de leurs oliviers; la voracité des eaux qui arrosent les premiers et la mortalité de derniers nécessitent cette permission.

Art. 19. Que les habitants de cette communauté soient autorisés à faire des sorties dans la montagne avec des armes à feu, sans que le seigneur puisse les empêcher, afin de donner la chasse aux loups, sangliers et autres animaux sauvages, dont les uns ravagent les troupeaux et les autres les campagnes.

Art. 20. Que les eaux perdues, dont le seigneur ne fait parade que pour punir ou surcharger les habitants, appartiennent à la communauté.

Art. 21. Le seigneur demande la taxe de tous les fruits et arbres provenant des fruits taxables, ayant pour raison de ce, des procès évoqués au parlement de Grenoble.


[1] Amandes ?